Maroc: spectaculaire déroute électorale des islamistes après une décennie au pouvoir
Après une décennie à la tête du pays, le parti islamiste du Premier ministre Saad Dine El Otmani a enregistré une cuisante défaite aux élections législatives. Seuls 12 de ses candidats siègeront dans la future Assemblée marocaine.
Le parti islamiste PJD, à la tête du gouvernement marocain depuis une décennie, a subi une spectaculaire déroute, au profit de partis libéraux considérés comme proches du palais royal, lors des élections législatives mercredi dans le royaume maghrébin.
Le Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste modéré) s'effondre, passant de 125 sièges dans l'Assemblée sortante à 12, a indiqué le ministre de l'Intérieur Abdelouafi Laftit, durant un point presse.
Il arrive loin derrière ses principaux rivaux, le Rassemblement national des indépendants (RNI), le Parti Authenticité et Modernité (PAM), tous deux de tendance libérale, et le Parti de l'Istiqlal (centre-droit), avec respectivement 97, 82 et 78 (sur 395 députés).
Une ampleur inattendue
Le RNI, qui appartient à la coalition gouvernementale, est dirigé par un homme d'affaires fortuné, Aziz Akhannouch, décrit comme proche du palais. Et le PAM, principale formation de l'opposition, a été fondé par l'actuel conseiller royal, Fouad Ali El Himma, en 2008 avant qu'il n'en démissionne en 2011.
Plus ancien parti du Maroc, le parti de l'Istiqlal (Indépendance), de centre-droit, fait un retour remarqué avec un gain de 32 siège.
L'ampleur de la défaite des islamistes est inattendue dans la mesure où, malgré l'absence de sondages, médias et analystes pensaient que le PJD jouerait encore les premières places. Longtemps cantonné dans l'opposition, le PJD espérait briguer un troisième mandat consécutif à la tête du gouvernement.
Il reviendra au roi Mohammed VI de nommer un chef du gouvernement, issu du parti arrivé en tête du scrutin législatif, qui sera chargé de former un exécutif pour un mandat de cinq ans. Il succèdera au secrétaire général du PJD, Saad-Eddine El Othmani. Les résultats définitifs devraient être connus jeudi.
Une participation en nette hausse
Le taux de participation a atteint 50,35% au niveau national, selon le dernier chiffre donné par le ministre de l'Intérieur. Il avait plafonné à 43% lors des précédentes législatives en 2016 et à 53% lors des dernières élections locales en 2015.
Mais c'est la première fois que les quelque 18 millions d'électeurs choisissaient leurs 395 députés le même jour que leurs représentants communaux et régionaux. Ce qui a réduit l'abstention.
La participation a été élevée dans les régions du Sud qui englobent la partie du territoire disputé du Sahara occidental contrôlée par le Maroc.
En 2011, le Maroc s'est doté d'une nouvelle Constitution accordant de larges prérogatives au Parlement et au gouvernement. Toutefois, les décisions et les orientations dans des secteurs clés continuent d'émaner d'initiatives du roi Mohammed VI.
Plus tôt dans journée, les islamistes avaient fait état de "graves irrégularités", dont "la distribution obscène d'argent" à proximité de bureaux de vote et des "confusions" sur certaines listes électorales, des citoyens n'y trouvant pas leur nom.
Les opérations de vote se sont déroulées "dans des circonstances normales", a assuré Abdelouafi Laftit, hormis "des cas isolés".
Accusations d'achat de voix
La fin de la courte campagne électorale, marquée par l'absence de grands meetings politiques pour cause de Covid-19, avait déjà été empoisonnée par des accusations d'achat de voix. Une vive polémique a d'ailleurs opposé ces derniers jours le PJD au RNI.
L'ancien chef du gouvernement et ex-secrétaire général du PJD Abdelilah Benkirane avait tiré à boulets rouges sur le chef du RNI Aziz Akhannouch, jugeant qu'il fallait "une personnalité politique intègre" à la présidence du gouvernement.
Ministre de l'Agriculture depuis 2007, Aziz Akhannouch avait rétorqué que les critiques des islamistes étaient "un aveu d'échec" et "ne visaient qu'à semer la zizanie".
Le ministre, à la tête d'une des plus grosses fortunes du pays, a déjà joué un rôle clé dans le précédent gouvernement, contrôlant des portefeuilles importants comme l'Economie et les Finances ou l'Industrie.
C'est la première fois depuis la tenue des premières élections au Maroc en 1960 que la répartition des sièges à la Chambre des représentants était calculée sur la base du nombre d'électeurs inscrits et non des votants. Ce nouveau mode de calcul devait favoriser les petits partis au détriment des grandes formations. Mais seul le PJD s'y était opposé, s'estimant déjà "lésé".
La compétition électorale a été caractérisée par l'absence de polarisation bien définie sur les choix politiques. Après le scrutin, les partis politiques seront invités à adopter "un pacte" découlant d'un "nouveau modèle de développement", qui préfigure une "nouvelle génération de réformes et de projets", comme l'a promis récemment Mohammed VI.