La nouvelle stratégie britannique de lutte contre le terrorisme
Dr. Moubarak Ahmed, spécialiste des
systèmes comparés L'annonce par la Grande-Bretagne d'une
nouvelle stratégie de lutte contre le terrorisme soulève une série
d’interrogations : quelles seront les caractéristiques de cette
stratégie ? Dans quelle mesure pourrait-elle contrer les menaces
terroristes en Grande-Bretagne ? Peut-elle être appliquée dans d’autres
pays européens ? Et quelles sont les défis auxquels sera confrontée
cette nouvelle stratégie ? Le ministre britannique de l’Intérieur, Sajid
Javid, a expliqué que cette stratégie révisée de lutte contre le terrorisme est
« le fruit des leçons qu’on a tirées des attaques terroristes de
Londres et de Manchester l'année dernière (2017) et des réactions des
Britanniques à leur sujet ». Caractéristiques initiales Le 4 juin 2018, Sajid Javid, annonçait les
grandes lignes de cette nouvelle stratégie de lutte contre le terrorisme, qui
vise à contrer ce qu'il appelle « la nature changeante des
terroristes ». La stratégie en question est fondée notamment sur des
liens plus étroits avec les sociétés technologiques, et une coopération
accrue entre les services de sécurité (le MI 5), la police, les autorités
locales, et le secteur privé dans l'échange des informations au sujet des
quelques 20 000 citoyens britanniques suspectés de terrorisme. Pour renforcer la sécurité, le gouvernement
britannique entend renforcer les peines de prison dans certains crimes. Par
ailleurs, des mesures seront prises contre les militants de l'extrême droite,
qui constituent avec les extrémistes islamistes, la plus grande menace. Il
est à noter que Daech et l'extrême droite sont plus semblables qu'on
ne le croit, ils exploitant les griefs des autres, déforment la vérité et
portent atteinte aux libertés. Javid a annoncé que 50 millions de livres
sterlings supplémentaires seront allouées à la lutte anti-terroriste. Le budget
total s'élèvera ainsi à 750 millions de livres sterlings. La nouvelle
stratégie s'appuiera sur une loi qui aidera la police à prévenir les attaques
terroristes. La loi comprendra notamment une redéfinition des crimes
terroristes surtout que nous sommes à l’ère numérique. Elle prévoira des
sanctions plus sévères à l’encontre des crimes terroristes et la possibilité
d'enquêter sur les attentats perpétrés à l'étranger devant les tribunaux
britanniques. Des motifs multiples Les motifs qui ont incité la
Grande-Bretagne à adopter cette nouvelle stratégie de lutte contre le
terrorisme sont multiples. Voici les plus importants : 1- L’adhésion des jeunes européens aux
organisations terroristes. Les organisations terroristes en Grande Bretagne
et dans les autres pays utilisent les rassemblements juvéniles et les cercles
d'amis pour recruter des Européens et les envoyer en Syrie et en Irak. Le
groupe Daech a réussi à attirer la jeunesse européenne par
l’intermédiaire des réseaux sociaux, et par l'intermédiaire de groupes de
jeunes opérant en Europe comme l’Association des britanniques du Bengale.
Cette association comptait un certain nombre de jeunes britanniques, âgés de
19 à 24 ans, qui ont quitté la Grande-Bretagne pour rejoindre les groupes
armés en Syrie et en Irak en octobre 2013. Ils ont fini par rejoindre les
rangs de Daech et ont été tués dans la bataille de Ain Al-Arab Kobani
fin 2014. 2 – Le changement qualitatif dans
l’exécution des opérations terroristes. Alors que les attaques de Daech
dans ses zones d'influence et dans certains pays arabes sont dirigées contre
des objectifs militaires, comme les zones de concentration de l'armée et de
la police et la population civile, notamment les mosquées chiites, les
attaques de l’organisation dans les pays européens sont principalement
dirigées contre des cibles faciles à atteindre, notamment les zones de
rassemblement des civils où les mesures de sécurité sont minimales, ce qui
permet aux terroristes de faire beaucoup de victimes. La mise en échec, par
la Grande-Bretagne, de plusieurs opérations terroristes de Daech n'a
pas empêché cette dernière de s’attaquer à un spectacle de chant au moyen
d’un engin explosif à Manchester au nord de l'Angleterre, en mai 2017.
Bilan : 22 morts, dont des enfants. Les attaques de Daech contre
les spectacles chantants révèlent deux choses. La première est l’utilisation
du facteur religieux pour attirer de nouveaux extrémistes. La seconde est la
difficulté de contrôler ces lieux par la sécurité, en raison de la présence
d'un large public. 3 – Le problème des loups solitaires. Les
organisations terroristes utilisent le phénomène des loups solitaires pour
lancer leurs opérations. Cette stratégie repose sur les cellules dormantes ou
sur les personnes qui reviennent des zones de conflit, ce qui rend difficile
de les suivre ou de les détecter. Avec le déclin de Da'ech et son
recul dans ses zones d'influence en Syrie et en Irak, en raison des frappes
de la coalition internationale, l’organisation terroriste a trouvé en les
loups solitaires, un nouveau subterfuge pour sortir de sa situation
difficile, prétendre remporter des victoires, remonter le moral de ses
militants et inspirer de nouveaux éléments pour qu’ils rejoignent les rangs
de l’organisation, ceci en prétendant que les opérations terroristes sont
menées par les soldats du califat. La nouvelle stratégie britannique vise à
mettre en place une nouvelle approche en matière de lutte contre la menace
terroriste en ne permettant pas aux terroristes d’agir librement et en toute
sécurité via Internet, que ce soit au Royaume-Uni ou dans le monde. 4. La crise des revenants Britanniques des
zones de conflit. Le Centre international de lutte anti-terrorisme (ICCT)
estime à 3 710 le nombre total de combattants étrangers dans 23 pays membres
de l'UE. La majorité de ces combattants (2 838) est originaire de quatre pays
seulement à savoir la Belgique, la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni,
sachant que la Belgique possède le taux de combattants étrangers le plus élevé.
Le Centre estime également que 30% de ces combattants sont rentrés dans leur
pays, que les combattants rapatriés constituent une menace potentielle pour
la sécurité. 17% des combattants étrangers sont des femmes. La plupart des
combattants étrangers sont issus des grandes agglomérations urbaines ou des
zones environnantes, ce qui signifie que des réseaux extrémistes opèrent dans
ces zones. Entre 6% et 23% de ces combattants sont socialement fragiles. Il
s'agit principalement de personnes marginalisées, ou des jeunes dans une
phase incertaine de leur vie, et qui ont été recrutés dans un laps de temps
relativement court. Il faut noter que les éléments qui se sont battus aux
côtés de Daech en Syrie et en Irak ont acquis les techniques de combat
et ont une bonne connaissance des procédés technologiques de pointe utilisés
par la Grande-Bretagne dans sa lutte contre le terrorisme. Ils sont de même
au courant des mesures de sécurité draconiennes en place dans ce pays. C’est
pourquoi ils représentent une menace pour la sécurité britannique. Le gouvernement britannique estime à 850 le
nombre de combattants britanniques engagés dans des conflits armés. Le
gouvernement a confirmé que les prisons britanniques sont disposées à
recevoir les rapatriés de Da'ech. Résumé Le succès de cette nouvelle stratégie
britannique de lutte contre le terrorisme dépend de son application sur le
terrain, pour contrer les menaces terroristes qui visent à déstabiliser le
monde en exportant le chaos et en créant des foyers de tension dans
différentes régions. Les organisations terroristes recrutent les combattants
qui reviennent des zones de conflit ou les loups solitaires radicalisés. D’où
la nécessité de renforcer les efforts européens et britanniques pour limiter
les risques en renforçant les contrôles sur les déplacements de ces nouveaux
combattants vers les zones enflammées, et en imposant des mesures strictes
pour empêcher le financement de ces groupes extrémistes et leur interdire
l’accès aux armes. Un fait qui contibuera sans aucun doute à la réussite de
la nouvelle stratégie britannique basée sur trois piliers fondamentaux :
dissuader les individus de rejoindre les groupes terroristes, de soutenir le
terrorisme tout en assurant la protection et le suivi.
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