Syrie : escalade militaire, crise humanitaire... la violence ressurgit à Deraa
lundi 16/août/2021 - 01:25
Le cauchemar n'est pas terminé pour Deraa : ancien bastion rebelle, cette ville subit l'ire de l'armée syrienne et de ses alliés. Trois ans après un accord dit de réconciliation négocié par Moscou, le berceau du soulèvement antirégime connaît de nouveau des combats entre rebelles et les forces du pouvoir en place, aggravant une situation humanitaire déjà mauvaise. Dans le sud de la Syrie, Deraa "meurt sous le siège de la famine et des obus" des forces loyales au régime de Bachar El-Assad déclare l'éditorialiste syrien Ghazi Dahman dans les colonnes du quotidien panarabe Al-Araby Al-Jadid. Déjà la cible de nombreuses attaques depuis l'insurrection en 2011, pourquoi la violence repart-elle dans cette province rebelle ?
En mai, des habitants ont manifesté contre l'élection présidentielle, remportée sans surprise par Bachar al-Assad. Ces opposants refusaient l'organisation du scrutin dans leurs zones d'influence. Fin juillet, la région a été secouée par des combats, "les plus violents" depuis 2018, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH) qui a fait état de 32 morts, dont 12 civils. Les affrontements ont duré deux jours à Deraa, avant le lancement de pourparlers parrainés par Moscou en vue d'un règlement. Si l'intensité des combats a baissé, "les forces du régime continuent de mener des attaques quasi-quotidiennes (...) dans le but d'épuiser les combattants qui ne disposent que d'armes légères", affirme Omar Hariri, militant d'un groupe qui recense les "martyrs" de la région.
Un seul constat pour la revue Foreign Policy : "La fausse réconciliation de Damas a échoué à Deraa." Si les violences éclatent de nouveau c'est que le régime chercherait à se "venger" de "Deraa al-Balad", estiment certains habitants et militants. Là-bas, "beaucoup ridiculisent le régime (...) alors que les assassinats de loyalistes n'ont pas diminué" dans la province, explique Omar Hariri. Damas exigerait ainsi le transfert de certains militants et combattants rebelles vers le nord du pays, ajoute-t-il. Le régime chercherait aussi à consolider sa présence jusqu'à la frontière israélienne. "Les Iraniens ont toujours voulu consolider leur influence dans le Sud (...) et poussent aujourd'hui les forces du régime" à s'y déployer, explique Mohamad al-Abdallah, du Centre syrien pour la justice et la responsabilité (SJAC).
Si les ambitions régionales de l'Iran compliquent la situation, il n'est pas le seul présent sur ce dossier. "C'est une "compétition entre les Iraniens et les Russes sur les zones d'influence en Syrie", affirme Mohammad al-Abdallah. En effet, Moscou voudrait sauver l'accord de réconciliation signé en 2018. Ce dernier prévoyait que le régime reprenne le pouvoir en 2018 en échange de quoi les rebelles étaient autorisés à rester et à bénéficier d'une amnistie tout en gardant leurs armes légères. L'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH) a pour sa part indiqué que des négociations de cessez-le-feu sont en cours avec une médiation russe et que les combats ont considérablement baissé d'intensité." La Russie tente de maintenir le statu quo, pour éviter les déplacements de population", décrit Abdullah Al Jabassini, chercheur et spécialiste reconnu du sud de la Syrie, dans les colonnes de La Croix.
Et ces jeux d'influence politiques se déroulent dans un contexte dramatique. L'émissaire de l'ONU pour la Syrie, Geir Pedersen, a jugé jeudi la situation "alarmante" dans la région de Deraa, en proie à des pénuries de plus en plus sévères, et réclamé la fin immédiate des violences. Abou al-Tayeb, un habitant de "Deraa al-Balad", confirme la multiplication des pénuries : farine, eau et électricité, alors que le pays est déjà englué dans une crise économique sévère. Environ 24 000 des quelque 55 000 habitants de "Deraa al-Balad" ont fui vers d'autres quartiers de la ville ou ses environs, tandis que l'hôpital de la ville a été bombardé à quatre reprises, a rapporté de son côté le Bureau de la coordination des Affaires humanitaires de l'ONU (Ocha).
"Il faut obtenir un cessez-le-feu immédiat pour alléger les souffrances des civils à Deraa", a plaidé Michelle Bachelet, Haute-commissaire des Nations unies aux droits de l'Homme. La femme politique évoque des civils "assiégés" qui font face à des points de contrôles et des restrictions de mouvement. Au cours des dernières semaines, les forces du régime ont progressivement resserré l'étau sur "Deraa al Balad". L'émissaire de l'ONU a souligné qu'un accès humanitaire "immédiat" et "sûr" devait être accordé à "toutes les zones et communautés touchées", et réclamé la fin de "la situation de quasi-siège". En 2011, c'est à Deraa, qu'une dizaine d'enfants avaient été torturés en mars 2011 pour avoir dessiné une fresque anti-Assad sur le mur de leur école. L'épisode avait été l'un des moments fondateurs de la révolution syrienne.