En Irak, les enquêteurs de l’ONU sur les traces des crimes de masse de l’organisation Etat islamique
1006, 1109, 0614… Des dizaines de mots de
passe, craqués en quelques secondes, défilent sur l’écran d’un ordinateur du
laboratoire. L’expert forensique peut enfin accéder au cœur des téléphones
mobiles retrouvés sur le champ de bataille et révéler les secrets de
l’organisation Etat islamique (EI) cachés dans les cartes SIM. « Le
jeu, maintenant, c’est de les faire parler ! », explique
Adrien, qui souhaite garder l’anonymat pour des raisons de sécurité. Au
cœur de la zone verte à Bagdad, le secteur ultra-protégé de la capitale
irakienne, ce laboratoire high-tech a des airs de Bureau des légendes.
L’équipe scientifique des Nations unies y
traite « les preuves tangibles » des crimes commis
par l’EI lors de l’occupation du nord et de l’ouest de l’Irak, de 2014 à 2017.
Téléphones mobiles et disques durs portent les traces laissées par les auteurs
des massacres qui ont endeuillé le pays et terrifié le monde. C’est la première
véritable enquête high-tech sur des crimes de masse. Aux preuves électroniques
s’ajoutent les centaines de témoignages collectés par les six équipes d’enquête
sur le terrain, les analyses balistiques et celles tirées de l’exhumation des
charniers. Au moins 202 fosses communes ont été découvertes par l’ONU, comme de
sinistres cailloux blancs posés sur la route de l’organisation terroriste.
En septembre 2017, le Conseil de
sécurité des Nations unies votait à l’unanimité la mise sur pied d’une équipe
d’enquête (Unitad) chargée de recueillir, conserver et stocker les preuves de
crimes contre l’humanité, crimes de guerre et génocide commis en Irak par l’EI.
Le mandat dépasse la simple mission d’établissement des faits. C’est une
véritable enquête judiciaire. Durant deux semaines, ses enquêteurs ont ouvert
leurs portes au Monde et partagé leur quotidien sur une scène
de crimes de quelque 56 000 km2.
Rassembler des preuves
A « la villa », l’une
des anciennes résidences du sinistre Oudaï, fils aîné de Saddam Hussein et as
de cœur du jeu de cartes créé par les Américains lors de la traque des figures
du régime après l’invasion de 2003, le benjamin de l’équipe doit travailler
sur « des preuves de champ de bataille ». Adrien
nettoie les connecteurs d’un disque dur obstrué par de la terre et du
sang. « Toute la connectique est complètement défoncée, observe
l’expert forensique. Il a pu être dans une maison qui a explosé ou à
l’arrière d’une voiture qui a servi dans des attaques. Ici, on extrait des
informations sur des ordinateurs qui ont dix ans, qui ont passé leur vie sous
50 degrés et dans la poussière. »