D'Alexandre le Grand à la reine Cléopâtre, comment l'Egypte est devenue grecque
Pouvait-on
imaginer conquête plus facile ? En 332 av. J.-C., Alexandre
le Grand entra sans coup férir en
Egypte. Devant les murailles de la capitale, Memphis, il reçut la clef du
trésor royal des mains du chef de garnison perse. Conscients de leur
infériorité militaire, les
Achéménides, maîtres de la vallée du Nil depuis deux siècles,
avaient opté pour une reddition pacifique. Quant aux Egyptiens, « ils voyaient
les Perses comme des êtres cupides et despotiques et les détestaient depuis
longtemps », affirme l’historien romain du Ier siècle Quinte-Curce.
Alexandre le Grand, un libérateur pour les Egyptiens ?
C’est
ce que les auteurs grecs et latins ont toujours affirmé. Si l’on en croit
Diodore de Sicile (90-20 av. J.-C.), une décennie avant l’arrivée des
Macédoniens, le roi perse Artaxerxès III (425-338 av. J. -C.) avait détruit les
temples égyptiens, extorqué les prêtres et massacré un « Apis », le taureau
sacré. Rompant avec cette furie sacrilège, Alexandre multiplia les gestes
symboliques à l’égard des divinités locales et de la classe sacerdotale. C’est
à l’oasis
de Siwah, aux portes de la Libye, qu’un
oracle le proclama « fils d’Amon ». Cette intronisation ne devait rien au
hasard : Amon, déité majeure de la vallée du Nil, était depuis longtemps
assimilée à Zeus dans
le monde grec. Un dieu égyptien hellénisé : quoi de mieux pour incarner le
rassemblement ?
Avant
de repartir porter le fer au cœur de l’empire perse, Alexandre composa pour
l’Egypte un gouvernement sur mesure. Il attribua le commandement militaire à
des Gréco-Macédoniens mais confia le gouvernement civil à trois enfants du
pays : Cléomène de Naucratis, un Grec né en Egypte, en charge de l’impôt ;
Doloapsis, un Perse affecté à une moitié du territoire, et Pétisis, un
Egyptien, aux commandes de l’autre.
Durant son séjour dans
la vallée du Nil, de l’automne 332 au printemps 331 av. J.-C., le nouveau
maître du pays se fit couronner pharaon, fonda la cité d’Alexandrie et jeta les bases du pouvoir
en Egypte. Dans son sillage, ses successeurs sauront composer avec les usages
d’une civilisation pluriséculaire. On connaît la suite : en 323 av. J.-C.,
l’invincible Macédonien s’éteignit à Babylone, probablement des suites du paludisme.
Pendant près de
trois cents ans, quinze Ptolémées se succèdent
Ptolémée (368-283 av.
J.-C.), un général proche du défunt, devint alors gouverneur d’Egypte. Premier
coup d’éclat de ce fin stratège ? En 322 av. J.-C., il subtilisa le sarcophage
d’Alexandre sur la route qui le menait en Macédoine. Le plus grand conquérant
de tous les temps fut donc enseveli sur la terre des pharaons. Puis, sept ans
plus tard, Ptolémée se fit proclamer souverain d’Egypte en ceignant le diadème
royal, conformément à la tradition macédonienne. Le fils de Lagos, qui donnera
son nom à la dynastie des Lagides, fut à l’origine du plus prospère et du plus
durable de tous les royaumes hellénistiques. Pendant près de trois cents ans,
quinze Ptolémées et autant de reines puissantes s’y succéderont. Tous, sans exception,
étaient d’ascendance macédonienne.
Comment ces «
étrangers » ont-ils pu s’imposer sur un territoire riche d’une histoire de
vingt-cinq siècles ? En se dédoublant, répond Bernard Legras dans L’Egypte
grecque et romaine (éd. Armand Colin, 2004). Les Ptolémées
étaient des monarques à deux faces : rois grecs incarnant le droit et la loi
aux yeux des sujets grecs, mais aussi pharaons, garants de l’équilibre du monde
aux yeux des sujets égyptiens. En leur personne, ils réunissaient « deux
conceptions de la monarchie qui n’ont pas fusionné ».
Sur les monnaies
apparaissait le portrait du souverain grec paré d’un diadème. Sur les parois
des temples égyptiens, s’affichait celui du pharaon coiffé d’une double
couronne. Dernier point mais non des moindres : les Lagides s’approprièrent
l’antique tradition pharaonique des mariages entre frères et sœurs. Pourtant,
poursuit Bernard Legras, si leur identité politico-religieuse était double,
leur identité culturelle était strictement hellène. A la cour, on ne parlait
que le grec mâtiné d’un dialecte macédonien. De tous les Ptolémées, seule
Cléopâtre VII (69-30 av. J.-C), réputée polyglotte, pratiquait aussi
l’égyptien.