Syrie, les enfants sacrifiés de l’or noir
Dans cette région sous
contrôle kurde, des réfugiés arrachent à la terre, avec les moyens les plus
rudimentaires, de quoi faire rouler les camions et alimenter les groupes
électrogènes. La plupart arrivent d’Alep, détruite par la guerre. Ici, il n’y a
pas d’âge pour travailler, surtout quand les tâches les plus dangereuses
exigent les gabarits les plus frêles
Les fumées noires s’élèvent partout à
l’horizon, l’air pue le soufre brûlé et Mahmoud, 8 ans, le visage encrassé par
la suie, enchaîne les dribbles avec ses copains sur un terrain de foot de
fortune. Sur une route défoncée, un chien souillé de pétrole cavale après des
motards chargés de bidons d’essence. Ali, 25 ans, le nez couvert d’un foulard,
regarde son petit cousin jouer et respirer à pleins poumons l’air vicié : « Où
voulez-vous qu’ils aillent ? Ils vivent ici. Tout est sale, l’air, le sol,
l’eau. Le coronavirus, quand il vient chez nous, il voit ce ciel noir et il
s’en va. »
Tout autour du village d’Abou Kadir, une
cinquantaine de raffineries artisanales obscurcissent le ciel, polluent les
champs, les sources, dans des explosions silencieuses aussi meurtrières que les
bombes. Il y en a des milliers dans tout le Rojava, le Kurdistan syrien. Des
héros de Zola, des gamins de 10, 15 ou 17 ans y brûlent leur enfance et leur
jeunesse dans un décor digne de « Mad Max ». Échouées dans des flaques de
mazout, les cuves dans lesquelles est raffiné le brut ressemblent à des
vieilles locomotives à vapeur qui crachent par leur cheminée de métal tordu un
interminable et puant panache noir.
Dix ans après le début de la guerre en Syrie, le pays survit dans ses ruines. Dans
l’Ouest, le régime de Bachar El-Assad et la Russie bombardent régulièrement
Idlib, dans le Nord, les supplétifs turcs combattent toujours les Kurdes, et
ici, chaque jour, des cellules de Daech lancent des attaques, de Deir ez-Zor à
Hassaké. Dans les camps d’Al-Hawl ou de Roj, où croupissent les femmes et les
enfants des combattants djihadistes, des prisonnières endurcies rêvent de
prendre leur revanche et se dévorent entre elles : on y recensait trente
assassinats par mois avant les opérations qui y ont été menées, fin mars, par
les forces démocratiques syriennes.