Libyens et puissances étrangères se limitent aux slogans
Près de 20 000
étrangers armés en Libye, selon la délégation de l’ONU. Un nouveau pouvoir
libyen hésitant à aborder cette grave problématique. Libyens et étrangers
tournent autour du pot, en attendant les élections générales du 24 décembre
2021.
Depuis sa
désignation à la tête de la diplomatie libyenne, Najla Al Mengouche n’a cessé
de réclamer avec force le départ de toutes les forces étrangères de Libye.
Elle a soulevé le problème aussi bien à l’étranger, notamment à
Ankara, qu’à Tripoli à chaque fois que l’occasion se présente. Toutefois, les
requêtes de Mme Al Mengouche n’ont jamais été relayées par les
présidents El Menfi et Dbeïba, sauf en termes très timides disant que c’est un
mal qui nuit profondément à la Libye et aux Libyens.
Le dossier du retrait des forces étrangères de Libye a été soulevé
lors de la récente visite à Tripoli, jeudi dernier, du ministre d’Etat
britannique pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, James Cleverly, qui a
affirmé «approuver le retrait sans plus tarder de toutes les forces
étrangères et mercenaires de Libye».
Cleverly a souligné, lors du point de presse tenu avec son
homologue libyenne, Najla Al Mengouche, que «les
Libyens ont maintenant une réelle opportunité d’écrire le prochain chapitre de
l’histoire de leur pays», en assurant que «la
prochaine étape sera la tenue des élections en décembre».
Les propos du ministre britannique rejoignent ceux des ministres
allemand, Heiko Maas, italien, Luigi di Maio, et français, Jean-Yves Le Drian,
qui sont venus en Libye depuis avril dernier. Ils avaient alors assuré
qu’il «est plus que temps» que ces forces
étrangères quittent le pays.
Les ministres européens ont considéré que le retrait des
mercenaires est d’une «importance centrale» pour permettre à la
Libye de retrouver sa souveraineté, surtout que le pays est censé organiser des
élections générales le 24 décembre 2021.
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En abordant cette question de manque de réactivité du nouveau
pouvoir libyen avec le politologue Ezzeddine Aguil, ce dernier privilégie la
thèse que «les belligérants libyens et les chancelleries étrangères ont
repoussé les questions litigieuses à la phase d’après les élections générales,
prévues le 24 décembre prochain, tout en ayant des engagements fermes de la
part des groupes armés pour qu’elles n’interviennent plus dans la rue». Aguil
est toutefois prudent concernant les réactions de ces milices par rapport aux
résultats des urnes.
«Il ne faut pas oublier que la guerre civile a été déclenchée
durant l’été 2014 suite à la défaite des islamistes, toutes tendances
confondues, aux élections de juin 2014», explique-t-il, en
émettant des réserves sur «la discipline des groupes
armés, habitués à tous les genres de revenus douteux, du racket à la
contrebande, en passant par la facilitation de l’émigration clandestine». Aguil
se permet même de douter de l’existence d’une volonté chez ces groupes de réintégrer
les forces armées régulières.
Stabilité actuelle
Le nouveau pouvoir libyen n’a pas abordé les questions litigieuses
des diverses troupes étrangères (Syriens, Turcs, Wagner, Soudanais, Tchadiens,
etc.) basées en Libye, pour garder l’harmonie au sein de l’équipe dirigeante et
ses bonnes relations avec tous les acteurs.
Même la question de l’ouverture des grands axes routiers, comme la
grande route côtière Ouest-Est ou la route Syrte-Al Kofra, n’a pas encore été
résolue, pour des raisons sécuritaires.
L’homme fort de l’Est libyen, Khalifa Haftar,
et ses services spéciaux ont peur de l’infiltration d’éléments suicidaires dans
leur territoire. «Haftar et
son armée ont passé trois années pour nettoyer l’Est libyen, notamment Benghazi
et Derna, des réseaux terroristes et ils ne veulent pas que la mainmise sur la
question sécuritaire leur échappe»,
selon le juge Jamel Bennour, ex-président du Conseil local de Benghazi en
2012/2013, qui ajoute que «l’approche
disciplinée des académies militaires de Haftar n’est pas appliquée dans l’Ouest
libyen où le milicien donne encore des ordres au militaire, comme en 2011».
Pour le juge Bennour et d’autres observateurs, les appels des
ministres de l’Union européenne, des Britanniques ou Américains, ne trouveront
pas d’échos chez les bailleurs de fonds des forces armées étrangères basées en
Libye, qui veulent s’assurer des orientations du nouveau pouvoir libyen,
notamment celui d’après les prochaines élections.
«S’il est vrai que Turcs et Qataris cherchent des voies de réconciliation
avec Le Caire, Riyad et Abou Dhabi, cela ne veut pas systématiquement dire que
les Frères musulmans libyens vont se résigner», avertit
le juge Jamel Bennour, qui exprime sa crainte de l’après-prochaines élections.
Néanmoins, «les Libyens sont condamnés à tourner la page»,
reconnaît-il. Et le plus tôt serait le mieux, espère-t-il.