En Syrie, une famille damascène tourbillonne pour préserver une danse soufie
Issu d'une famille pratiquant depuis un siècle cette tradition mystique de
l'ordre musulman mevlevi, l'enfant écarte ses mains en dansant, entouré de son
père, Mouayyad al-Kharrat, et de son cousin.
Leurs longues robes blanches virevoltent tandis que le trio tournoie au
rythme d'incantations spirituelles qui accompagnent ce rituel soufi durant les
soirées du ramadan.
M. Kharrat, 28 ans, veut enseigner à son fils cette danse datant du XIIIe
siècle, qui consiste à tournoyer en méditant pour atteindre l'extase
spirituelle.
"Anas a appris cette danse avant d'apprendre à
parler, c'est le plus jeune derviche de Syrie", affirme fièrement à l'AFP ce vendeur de parfums dans un souk
populaire de la capitale.
Et ce malgré les occupations professionnelles et les difficultés
du quotidien dans un pays en proie à une crise économique sévère après plus de
dix ans de guerre.
- Danser "vers Dieu" -
Souvent vêtus d'amples robes blanches et coiffés de chapeaux
cylindriques, les danseurs sont appelés les "derviches", ce qui signifie le simple et l'ascète.
Certains d'entre eux se coiffent d'un tarbouche noir, qui dans
sa forme allongée symbolise le "alef", la première lettre de l'alphabet arabe et du mot "Allah".
Répandu dans plusieurs pays musulmans, cet art est né sous
l'impulsion du grand poète et mystique persan Jalal al-Din Roumi à Konya, en
Turquie actuelle.
"Le soufisme en général est un mode de dévotion et d'élévation vers
Dieu, et la danse mevlevie est l'un des moyens d'atteindre Dieu", explique M.
Kharrat.
Aujourd'hui, il affirme être capable de tourner sur lui-même des
dizaines de fois par minute "sans s'éloigner d'un iota de sa position"
initiale.
La danse l'aide à se sentir mieux. "A chaque fois que je me sens
angoissé par les conditions de vie et la crise que nous traversons, je
m'enferme dans ma chambre et me mets à tourner jusqu'à renouer avec un certain
confort psychologique", dit-il.
Avant le début des répétitions, il aide son fils Anas, tout
sourire, à enfiler l'uniforme du derviche.
Au rythme de chants religieux et de prières, le père de famille
et son frère Mahmoud, 34 ans, entraînent plusieurs enfants à tourner sur
eux-mêmes dans la cour de la maison familiale.
Anas imite son père et ferme les yeux, une technique visant à
s'isoler du monde extérieur.
- Animation du ramadan -
Mahmoud al-Kharrat corrige quant à lui les mouvements de mains
des enfants pendant les rotations.
"Tendre les mains vers le haut est un signe de recherche de la
miséricorde de Dieu et d'appel lancé vers le ciel",
explique-t-il.
Lorsque celles-ci sont tournées vers la poitrine, le geste
implique soumission et humilité envers Dieu, ajoute le danseur.
Comme la plupart des derviches, Mahmoud a dansé dans des
dizaines de pays occidentaux avant la début du conflit syrien en 2011.
"Avant la guerre, nous passions plus de temps à l'étranger qu'en
Syrie",
se souvient-il.
Mais les restrictions de voyage depuis imposées aux Syriens les ont contraints
à la sédentarité.
La famille al-Kharrat s'est alors concentrée dans l'animation de
fêtes religieuses locales ou de cérémonies privées.
"Nous sommes allés dans des restaurants et à des mariages pour y
organiser des spectacles", affirme Mahmoud.
"Les tentes du ramadan sont notre dernier lieu d'espoir", dit-il,
affirmant attendre "chaque année avec impatience le mois de ramadan pour partager ce
rituel avec les gens".
Dans le vieux Damas, les derviches dansent dans presque tous les
cafés pour animer les soirées après l'iftar, le repas quotidien de rupture du
jeûne.
"Le mevlevi est (une danse) pour chaque moment et chaque lieu mais
elle est d'autant plus spirituelle" durant le mois sacré, affirme le danseur.