En Libye, les ratés du pari français sur Haftar
La déconvenue tchadienne va-t-elle
infléchir le regard que porte Paris sur le théâtre libyen ? Va-t-elle
contribuer, en particulier, à une réappréciation des qualités prêtées au
maréchal Khalifa Haftar, la sentinelle qui était censée garder la frontière méridionale
de la Libye d’où a surgi l’offensive rebelle fatale à Idriss Déby ? Il est
un secret de Polichinelle que la France avait lourdement investi sur le patron
de l’autoproclamée Armée nationale libyenne (ANL). Sans se bercer d’illusions,
mais avec une loyauté, une persistance et parfois une connivence idéologique
qui laissent a posteriori plus que dubitatifs.
M. Haftar a été un pari stratégique de
la France dont l’histoire reste à écrire. L’étendue de l’aide – sécuritaire au
début, politico-diplomatique ensuite – fournie à partir de 2016 à cette figure
prétorienne de la Cyrénaïque (est), digne héritier de l’école des raïs
régionaux, n’a cessé d’intriguer les partenaires européens de Paris, jusqu’à
susciter des tensions au sein même de l’appareil français. L’objectif était de
permettre à ce supposé « homme fort », drapé dans le
combat antiterroriste, de stabiliser une Libye en plein chaos
post-« printemps arabe » pour, plus au sud, mieux dérouler un cordon
sanitaire autour de l’opération « Barkhane » au Sahel. « La
vision de la France est plus régionale que libyenne », déclarait en
avril 2019 au Monde Ghassan Salamé, alors chef de la
mission des Nations unies en Libye.
C’est dire combien les récentes turbulences
tchadiennes prennent à revers les attentes de Paris. Le calcul sur le maréchal
libyen s’est révélé en l’espèce d’une totale vanité. Non seulement le
« garde-frontière » n’a en rien endigué les infiltrations venant de
Libye, mais le groupe rebelle ayant porté l’estocade fatale à M. Déby, le Front
pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), est issu de l’hétéroclite
coalition militaire bâtie autour d’Haftar en Libye orientale et méridionale. Le
maréchal a toujours été généreux dans son recrutement de
« mercenaires » tchadiens et soudanais (darfouris), sans compter les
combattants russes de Wagner que Moscou mettait à son service.